Psychanalyse et poétique : une re-création du Réel

INTRODUCTION

La question de la création à l’œuvre dans la cure analytique est cruciale et est au cœur de l’invention de la psychanalyse. En effet, cette dernière inventée par Freud à partir de la littérature et pensée par Lacan à partir de la poésie, est œuvre de langage- stigmate de l’inconscient- et de parole qui fonde un discours. L’objet de la psychanalyse est bien le rapport d’un sujet à sa vérité, rapport qui passe nécessairement, dans le cadre analytique, par une parole de l’analysant qui met en mots. Cette parole, incidente ou non, émanation du langage de l’inconscient, si elle est un  tâtonnement, une recherche, une créativité dans l’instant de l’analyse peut néanmoins se penser comme système à part entière si l’on conçoit que l’analyste est bien « celui à qui l’on raconte des histoires »[1]. Récits nés du mystère de l’inconscient, mimétiques ou diégétiques, ils fondent un système régi par un acte de parole singulier qui fait de l’analysant un sujet poétique né du discours par lequel il est -dans l’activité analytique structurée par l’ordre symbolique du langage- de facto objet émergeant peu à peu en sujet de son discours. Les deux constituants nécessaires à l’acte analytique que sont l’analysant et l’analyste sont corollaires et tributaires d’un troisième constituant qu’est le signifiant dans la théorie de Lacan.

Ainsi, l’activité analytique est structurée par le symbolique (selon la topologie lacanienne du RSI, réel, imaginaire et symbolique abordée notamment dans le séminaire L’éthique de la psychanalyse [2] ) et il existerait une spécificité du discours analytique – comme il en existe une du discours littéraire- qui engagerait une esthétique singulière. L’origine latine du mot « poétique », poetica signifie « poésie, travail, art du poète » entendu aussi, comme le rappelle la racine grecque poiêtikê en tant que « faculté poétique », « art de la poésie ». Par extension, et c’est ce sens qui nous intéresse pour notre travail, le mot désigne l’esthétique, la théorie d’un art ou d’un genre artistique particulier et plus précisément la théorie de la création littéraire en écho au célèbre traité d’Aristote. Dans le dire analytique, la parole se fait d’un ordre qui lui est propre, elle crée son sens ou son non-sens, produit un discours parfois opaque à l’analysant ou l’analyste -et comment ne pas songer à l’opacité du discours poétique chez Rimbaud ou Mallarmé par exemple ? -, des silences -et le blanc en poésie l’atteste aussi-, des images -métaphores ou métonymies- surgies des fantasmes ou des rêves qui convoquent analysant (car ses mots sont un métalangage de son inconscient qu’il souhaite ardemment découvrir)  et analyste. Ce dernier est pris dans un questionnement qui émerge de l’écoute de l’analysant et de l’engagement dont il fait preuve dans l’acte d’analyse, assorti du cadre qui lui est propre.Ce cadre analytique constitue le réel de l’analysant et il n’est pas sans poser des questions éthiques puisque s’élabore une dialectique du rapport du langage avec le réel pour situer le bien du côté de ce réel [3] qui permet en premier lieu de poser une confrontation entre le symbolique -gouverné par le principe de plaisir de l’inconscient- qui serait l’équivalent du fictif, ces « fictions du désir » dont parle Lacan[4], et le réel. Dans sa position, à sa place, l’analyste qui ne répond jamais à la demande de sens de l’analysant accueille le devenir du sujet dans et par son discours à l’intérieur du cadre analytique pouvant lui permettre d’accéder à son réel ou tout du moins par « la loi morale, le commandement moral, la présence de l’instance morale » qu’il incarne faire en sorte que « se présentifie le réel- le réel comme tel, le poids du réel. »[5]

Accéder au réel, même s’il représente l’impossible pour la poésie, deviendrait un possible du sujet, une structure donnée à sa vie, la possibilité de travailler, d’aimer, par le biais du parcours analytique et partant du discours « incohérent » de l’analysant, de la poétique à l’œuvre.

Nous verrons en quoi la poétique à l’œuvre dans la technique psychanalytique permet d’accéder au réel c’est-à-dire de quelle manière, à l’insu du sujet analysant, au travers des associations libres, des lapsus, des images, de la chaîne des signifiants, se fait jour l’inconscient -objet du système du langage psychanalytique- et dans quelle mesure le discours produit appartient bien à une poétique entendu comme un système de formes qui par leur récurrence, leur place et leur signification, figurent une esthétique psychanalytique. Dès lors, par l’émergence de cette parole qui est une mise en mots du désir du sujet, une parole créative investissant des lieux indéterminés -mémoire, passé, fantasmes-, naissent des possibles dont l’aboutissement serait le réel, réel du corps, du désir assumé et enfin traversé, horizon de possibles qui repoussent les limites de l’impossible. La parole vivante à l’œuvre dans la cure, acte de vie pleine, est actualisée sur une autre scène que la réalité, sur la scène du réel de l’analysant.

Chapitre premier : La technique psychanalytique

L’expérience analytique s’inscrit dans une pratique, des règles que S. Freud a beaucoup commentées, précisées dans son œuvre et qui sont autant de procédés, d’applications permettant d’obtenir un résultat déterminé. Ces derniers ressortissent d’un art, d’un métier comme nous l’enseigne l’étymologie grecque tekhné  qui signifie « savoir-faire dans un métier ». User d’une technique, c’est utiliser des moyens empiriques pour produire une œuvre ou obtenir un résultat. La psychanalyse est une praxis qui nécessite un dispositif qui lui est propre et des conditions particulières. Ainsi, le corps engagé dans l’analyse est tout autant corps de parole que ne l’est le recours au langage car, au travers du symptôme, parle déjà un sujet qui demande à se dégager d’une souffrance à vivre. S’il y a situation de parole qui fait accéder l’analysant au registre symbolique, cette situation est inédite car ne relevant pas de la communication ordinaire et s’élabore alors une parole originale, particulière car toujours singulière, qui a à voir avec la créativité poétique. Le discours à l’œuvre dans l’analyse laisse émerger le sujet de l’inconscient par la résurgence de motifs disparus de la conscience et qui affleurent dans des figures caractéristiques de l’inconscient. La technique psychanalytique favoriserait l’émergence d’une parole poétique ou d’une poétique et pourrait garantir les conditions de production d’un discours ressortissant de la poétique.

1. L’acte analytique : l’affaire du langage et la présence du corps :

L’acte analytique est affaire de langage et implique la présence du corps. Ce dernier est engagé dans l’analyse comme l’attestent les premières cures de Freud qui pratiquait hypnose et suggestion et travaillait la main au front de certains patients : il n’avait pas encore découvert le transfert à l’œuvre dans la cure. Le corps allongé sur un divan apparut très vite comme une nécessité du détachement d’une conformité sociale qui s’apparentait trop à la conversation banale. En effet, le corps de l’analysant dans cette posture si particulière, eu égard à l’usage social du langage, était invité au lâcher-prise, à l’abandon nécessaire au déploiement libre d’une parole.

Le malade, invité à mettre des mots sur des maux en présence de l’analyste- du corps de l’analyste aussi dont la présence vaut d’abord justement par ce corps- perçoit alors que ses symptômes sont une preuve de son existence et qu’ils disent la déchirure du sujet qu’il est. Par le prisme du corps est apporté du symptôme comme manifestation du mal à vivre, à être, et qui inscrit le corps dans un langage puisque le symptôme est conçu comme faisant signe de la présence de l’inconscient. Conséquemment, l’espoir mis dans la cure analytique est celui du retournement : par la parole déployée, il serait possible de renouer avec un réel acceptable, réel d’abord et avant tout lié au corps pour Freud, un réel débarrassé du symptôme pour l’analysant.

Ainsi, la situation analytique est une situation de parole inédite à plusieurs égards. D’abord, s’inscrit le début de l’analyse avec la présence de l’analyste qu’il faut renseigner par des banalités premières. Contraint de dire ce banal du quotidien, l’analysant prend contact par l’acte de communication et parle encore à quelqu’un de bien définissable selon son vœu : l’analyste chargé de le guérir, présent à lui. Cependant, quand la cure analytique est véritablement engagée, quand la règle du « tout dire » est opérante,  il apparaît que la position de l’analysant est pour le moins insolite : allongé, il parle à quelqu’un qu’il ne voit pas, dont il ne sait pas s’il le regarde. Dès lors, la relation analyste / analysant – que Freud nommera transfert ou « amour de transfert »[6]– peut se mettre en place et laisser émerger chez le sujet cette déchirure primordiale de la naissance : l’analysant parle à un sujet autre que lui, d’un lieu qu’il ne connaît pas – le « je » dont il s’empare est sujet de l’inconscient- dans un langage interprété et entendu comme s’il relevait d’une détermination absente de la situation de communication et par là-même comme s’il relevait donc d’une langue inconnue.

De la même façon, lors de la naissance, le petit d’homme se trouve à devoir inventer un langage pour être entendu de sa mère – être entendu au-delà du corps- et pratiquer une parole pour rentrer en relation avec elle, devenue autre subjectivité qui lui fait face, afin d’obtenir la satisfaction de ses besoins. Le langage devient le substitut du manque originel. Passée la symbiose du corps, mère et enfant ne font plus un et l’inscription dans le langage rappelle la déchirure primordiale de la naissance.

En écho à cette relation à (ré)inventer de part et d’autre, passé le seuil du cabinet de l’analyste, l’analysant doit inventer,  se réinventer au travers du langage en demande à la situation analytique. L’analyste doit répondre aux « besoins » de l’analysant en termes de symptômes : ce dernier déclare vouloir guérir et s’en débarrasser, il met des mots sur des maux dans un acte de parole singulier qui confirme la réalité du transfert de l’inconscient dans le corps. Le symptôme est une manifestation de l’inconscient et le corps constitue bien dans un premier temps -et dans sa perception première- le réel de l’analysant.

2. La situation analytique : une situation de parole inédite

Le début de l’analyse est marqué par un dire qui  n’échappe pas au mimétisme de la réalité vécue par l’analysant, aux banalités qui ont une visée explicative à destination de l’analyste. Cependant, la recherche de sens du sujet -d’abord dirigée vers un questionnement du symptôme- va peu à peu céder la place à une relation avec l’analyste qui va reconstruire hic et nunc  des références dans le discours de l’analysant, imaginaires, mais agissantes  pour signifier l’expérience précoce. Elles sont autant de résistances à l’analyse cependant puisqu’elles configurent une relation œdipienne qui fait obstacle à la relation symbolique. Pour rentrer dans cet ordre du symbolique, qui permettra d’aborder le réel (selon la topique de Lacan, RSI, sur laquelle nous reviendrons), il faut qu’une parole s’instaure dans laquelle « la médiation d’un tiers personnage(.) réalise, par rapport au sujet, l’élément transcendant grâce à quoi son rapport à l’objet peut être soutenu à une certaine distance. »[7] Le fondement du symbolique dans la recherche du sens du symptôme est bien une parole inédite et le discours analytique se présente comme une ouverture, antérieurement invisible, par laquelle on peut échapper à cette contrainte mais sans la nier.

Le cadre de l’analyse participe de l’instauration de cette relation par des contraintes que sont la récurrence des séances, l’heure fixée, la durée, le prix aussi et la nécessité du « tout dire » exigés par l’analyste qui sont autant de réalités sur une autre scène que la réalité ordinaire. Ces contraintes inédites sont autant de contraintes « persécutantes » que Freud nomme les « exigences élevées » posées au malade par le traitement psychanalytique qui « réclame le sacrifice qu’est une totale sincérité, (qui) s’avère pour lui dévoreur de temps et par là même aussi dispendieux »[8]. Ainsi, par ce sacrifice que consent l’analysant, s’ouvre un espace de parole qui permet de faire une expérience nouvelle d’où va jaillir une parole qui ne sera plus la répétition de l’ancien mais sur un certain « toucher le réel ».  La comparaison que fait Alain Didier-Weil  avec la musique et la danse est explicite : par le cadre analytique est faite l’expérience de la solitude absolue qui seule permet l’invention. Invention du mot semblable à celle du mouvement chez l’infans, risque au geste et à la parole, qui est confrontation à la mort, risque de chute dans cette tentative sans soutien paternel symbolique. Ainsi, la parole  « sera vivante pour autant qu’à tout instant elle sera, comme le corps du danseur, sujette  à tomber (.). La parole qui, comme le danseur, s’est envolée, est soumise à l’épreuve d’un risque majeur : comment dans cet instant de vide n’être pas prise de vertige ? Comment faire face au risque transitoire de se passer du soutien du Nom du Père ? De se passer du « to be » pour expérimenter le « not to be » ? »[9] La parole peut se risquer alors dans l’imprévisible, la spontanéité, faire la recherche de la précision dans l’imprécision. La parole créatrice naît de cet imprévisible, de ce qui est vécu dans cette dimension du sacrifice consenti, cet accueil persécutant. En effet, la parole est restituée comme éléments subits vécus dans le corps -le carcan, l’emprise- auxquels l’analysant tente d’échapper. C’est parce que ces contraintes existent, et qu’elles fonctionnent comme un système, qu’elles fondent un réel qui permet d’accéder au discours qui sera bien plus que réel : le discours analytique.

3. Le discours psychanalytique : une entité interne et théorique ?

Le discours analytique est d’abord et avant tout une adresse à un sujet supposé savoir pour l’analysant. Avant d’examiner cette place donnée à l’analyste, il est important de comprendre quel langage est en jeu dans l’acte d’analyse, quelle est la nature de ce langage « qui agit autant qu’il exprime »[10]. Dans les sciences du langage, Benveniste réduit l’antinomie saussurienne entre langue et parole qu’opère l’introduction de la notion de discours. Cette notion est indissociable d’un sujet de l’énonciation en psychanalyse, de ses rapports au langage, au monde. Le sujet parlant est inscrit dans le social et son inscription dans la psychanalyse est dialectique. Sa parole et son discours lui servent à se « représenter » lui-même « tel qu’il veut se voir, tel qu’il appelle l’autre » à le constater. Le discours est « appel et recours, sollicitation parfois véhémente de l’autre à travers le discours où il se pose désespérément, recours souvent mensonger à l’autre pour s’individualiser à ses propres yeux. »[11]  Le sujet utilise le langage comme parole et « la langue fournit l’instrument d’un discours où la personnalité du sujet se délivre et se crée, atteint l’autre et se fait reconnaître de lui. »[12] Il y a donc antinomie pour le sujet entre le discours et la langue, et l’analyste, « au-delà du symbolisme inhérent au langage, (il) percevra un symbolisme spécifique qui se constituera, à l’insu du sujet, autant de ce qu’il omet et de ce qu’il énonce. »[13] Le discours est truchement d’un autre langage renvoyant aux structures profondes du psychisme. Le sujet se réapproprie sa propre histoire en devenant sujet d’une histoire, en entrant dans une temporalité, en recourant à la mémoire individuelle ou collective (celle des mythes par exemple), en réécrivant son histoire singulière.

Néanmoins, l’inconscient étant structuré comme un langage « est une chaîne de signifiants qui quelque part (sur une autre scène, écrit-il) se répète et insiste pour interférer dans les coupures que lui offre le discours effectif et la cogitation qu’il informe. »[14] Ainsi, le Je sujet de l’énonciation n’est pas celui qui parle dans ce qui est dit, ça parle pour lui. Paul Ricœur, se penchant sur l’œuvre de Freud, réaffirme que le Je de l’inconscient ne coïncide pas avec le Je conscient, avec soi-même. Le discours sur le sujet est discours où « le sujet n’est jamais celui qu’on croit »[15]. Cette « discipline de la réflexion » qu’est la psychanalyse « opère un décentrement du foyer des significations, un déplacement du lieu de naissance du sens. Par ce déplacement, la conscience immédiate se trouve dessaisie au profit d’une autre instance du sens, transcendance de la parole ou position du désir. »[16] De la même manière que dans le récit que fait le sujet de sa propre vie peuvent se lire des symboles -et Freud a privilégié cette lecture-, la configuration du récit fait sens c’est-à-dire sa temporalité, ses choix narratifs et par là-même ses oublis, ses manques. Les silences dans la chaîne signifiantes sont comparables aux coupures dans le discours que Lacan disait faire barre entre le signifiant et le signifié. « Cette coupure de la chaîne signifiante est seule à vérifier la structure du sujet comme discontinuité dans le réel. »[17]

Le discours de l’analyste émerge comme engagé dans l’acte d’analyse, il vient débusquer les résistances, le refoulé dans ce qui lui est dit et sans cesse détromper la demande de sens de l’analysant en lui opposant son silence et en lui empêchant toute objectivation. Ainsi « l’art de l’analyste doit être de suspendre les certitudes du sujet, jusqu’à ce que s’en consument les derniers mirages. Et c’est dans le discours que doit se scander leur résolution. »[18]  La parole, pour reprendre la métaphore de Mallarmé que cite Lacan, est d’abord une monnaie d’échange qui se passe de main en main et est usée à force d’être utilisée. Le travail de l’analyste, dans son entreprise de décodage symbolique, est d’entendre contre quoi se fait cet échange. « Même s’il ne communique rien, le discours représente l’existence de la communication ; même s’il nie l’évidence, il affirme que la parole constitue la vérité ; même s’il est destiné à tromper, il spécule sur la foi dans le témoignage. »[19] Ainsi, est affirmée la prévalence du signifiant dans la parole qui utilise le langage pour représenter l’inconscient du sujet.

La recherche du « vrai » de la réalité psychique -qui prédomine dans la vie du sujet névrosé- s’apparente au réel, « cela qui se fait connaître à celui qui travaille par sa résistance à la maîtrise »[20]. L’usage de la technique garantit l’accès au réel par le truchement des résistances à cette technique. Sans technique, à savoir l’habileté que manifestera l’analyste et la résistance à la maîtrise que cèdera l’analysant, il ne peut y avoir d’accès au réel. La technique psychanalytique, à la fois cadre déontologique et pratique de la psychanalyse, accueille la langue de l’autre – langage utilisé dans le discours de l’analysant- avec tous les recours de ce dit langage dont la fonction première est symbolique et que révèle le recours aux figures.  Le discours psychanalytique peut être ramené par cette manifestation des catégories de l’inconscient que sont ces figures à une entité interne et théorique opérante : la poétique conçue comme structure opérante usant des formes du langage de l’inconscient.

Chapitre second : Une poétique à l’œuvre ?

La poétique, définie par Aristote dans son traité du même nom, s’occupe de distinguer le travail de l’historien de celui du poète pour mettre en avant les particularités de l’action poétique qu’est la mimesis  à entendre tout à la fois comme imitation et création (et le terme est alors en concurrence avec poiein qui signifie « faire » au sens de fabriquer, produire, créer). La création de mondes par les poètes -qui paraissent plus réels que notre réalité même- passe par un recours aux mots qui n’a pas cours dans le langage ordinaire et qui donne à leur œuvre une originalité singulière, propre à chaque poète.  Les figures de l’inconscient que sont les lapsus et actes manqués, le rêve et son interprétation et les métaphores et métonymies traduisent un langage de l’inconscient qui est le propre d’une subjectivité et dont nul autre sujet ne peut faire le même usage. Ainsi, leur apparition est affaire de création et énoncent une vérité du sujet soumise à l’équivoque du langage qui est, de fait, l’équivoque de leur désir. En effet, ces figures de l’inconscient, objet de refoulement,  disent le manque ou la distance impliqué par le fait de parler et ancrent le sujet dans une problématique de la castration puisque cette dernière est synonyme de « manque à être qu’implique la prise de chaque sujet dans le langage.»[21] Le discours à l’œuvre dans les figures, par l’opacité qu’elles assument, met en scène l’autre que soi dans le langage, au travers d’une liberté et d’un hasard qui fait événement. Tel le poète d’Aristote, l’analysant arrange événements possibles ou vraisemblables selon une logique qui défie l’attente et la norme  les rendant « aptes à susciter la crainte et la pitié »[22] (Freud empruntera cette notion de vertu cathartique de la poésie pour évoquer celle opérant en psychanalyse) et « ces sentiments naissent surtout lorsque ces événements, tout en découlant les uns des autres, se produisent contre notre attente (.), il s’ensuit que de telles histoires sont nécessairement les plus belles. »[23]   Le discours analytique est alors pris dans une littérarité qui est esthétique du langage et création en lui-même, création aussi d’une autre réalité qui fait réel pour l’analysant.

1. Les figures de l’inconscient : l’équivoque du langage

Freud examine dans sa série de conférences de 1916, réunies dans Introduction à la psychanalyse, l’intérêt des actes manqués (fausse lecture, fausse audition, oubli d’un mot ou d’un projet.) spécifiant que les lapsus étaient les plus intéressants d’entre eux. Ils sont « un moyen de représentation poétique »[24] qui veut faire entendre quelque chose des significations ou intentions qu’ils recèlent. Les lapsus traduisent le refoulement d’une intention de dire et les poètes ne s’y sont pas trompés. Freud cite Otto Rank qui a découvert dans le Marchand de Venise de Shakespeare un exemple frappant. La motivation de Freud pour la citation de l’exemple tient dans l’aspect poétique et technique du langage, remarquable selon lui, et citant Rank, il affirme que c’est « un cas de lapsus très finement motivé au point de vue poétique et d’une brillante mise en valeur au point de vue technique. »[25] Portia l’héroïne, contrainte d’être choisie par ses prétendants par un tirage au sort, voit celui qu’elle a secrètement choisi tenter sa chance. Ne pouvant être parjure, et s’attirer les foudres de son père, elle fait un lapsus révélant que son cœur est tout à lui. Elle se reprend d’ailleurs aussitôt dévoilant par là-même l’écart entre les deux propositions[26]. Le poète usant de cette confusion dévoile plus que ce qui aurait été dit sans elle et attend de son lecteur une compréhension fine à l’allusion et une interprétation de la confusion. Cette interprétation nécessaire est celle du psychanalyste qui s’attache à déceler s’il existe « contre-vouloir »[27] ou principe de déplaisir à l’origine de l’oubli ou de la confusion mais qui surtout peut dépasser la contradiction apparente, révélée par le lapsus, et lire un désir inconscient à l’œuvre, sans la connaissance duquel la vérité psychique du patient reste voilée. Le conflit psychique est lisible dans les formes de ce langage comme il l’est dans le rêve également, et il s’agit de lire la nature des associations qui s’y nouent.

Le rêve procède d’un travail d’élaboration à partir des « matériaux des idées latentes des rêves »[28]qui  agence et ordonne ces éléments, selon une logique qui lui est propre, pour produire le rêve manifeste. Ainsi, le premier effet du travail d’élaboration est la condensation  entendue comme une opération qui consiste à assembler des éléments du rêve latent selon les principes de fusion et de combinaison. Le résultat est souvent « extraordinaire et bizarre »[29] comme le sont les animaux légendaires mythologiques remarque Freud. Le deuxième effet est le déplacement  qui donne son aspect d’étrangeté au rêve puisque les conditions d’association de l’allusion -ou de l’élément manifeste- au contenu latent sont effacées contrairement à ce qui se passe dans le mot d’esprit où le lien entre l’allusion et le substrat peut être reconstitué. Le troisième effet « consiste en une transformation d’idées en images visuelles.»[30] Ce passage transforme les idées abstraites en éléments concrets en usant des significations primitivement concrètes des mots. Cette écriture figurée tient lieu et place de l’écriture verbale mais gomme tout lien logique, toute articulation, qui permettrait de restaurer un sens perceptible.

Toutes ces opérations prouvent l’usage illimité que le rêve fait du langage symbolique et peuvent être ramenées aux catégories de la langue : Freud ne manque pas de les comparer à celles qui sont à l’œuvre dans la formation des traits d’esprit. Cependant, il serait plus juste de parler de « style » car dans le langage de l’inconscient, tel qu’il se manifeste dans le rêve, existent de nombreuses analogies avec les figures de la rhétorique. Benveniste note qu’« on y trouve de part et d’autre tous les procédés de substitution engendrés par le tabou : l’euphémisme, l’allusion, l’antiphrase, la prétérition, la litote. »[31] Il insiste ensuite sur les deux figures que sont la métaphore et la métonymie notant que « ce qu’il y a d’intentionnel dans la motivation gouverne obscurément la manière dont l’inventeur d’un style façonne la matière commune, et, à sa manière, s’y délivre. »[32]  En lieu et place du déplacement et de la condensation du rêve freudien, Lacan substituera métaphore et métonymie qui usent de ces deux opérations, la première étant la substitution d’un mot pour un autre pour créer un sens nouveau, la seconde utilisant un mot pour un autre dans un rapport de contiguïté (une partie pour le tout, un contenu pour un contenant, etc.).  Saisies dans ce rapport entre sujet de l’inconscient et langage, les figures ont des pouvoirs : la métaphore, celui de nommer le réel et la métonymie d’évoquer la perte d’objet. L’existence de cette substitution généralisée dans le rêve fait de ce dernier une écriture qui peut se rapporter au discours de la poésie dans le suspens du sens notamment.

En effet, l’émergence du sujet de l’inconscient dans les figures questionne la représentation à l’œuvre. Le discours de l’analysant élabore une fiction de l’inconscient, sur le plan symbolique, pour le représenter pleinement, le faire accéder à une réalité de l’ordre du signifiant et l’expurger de son réel. Ainsi,  la métaphore paternelle est la substitution signifiante de la mère par le père selon Lacan et « cette première substitution est comme le modèle de la possibilité de substitution généralisée en quoi consiste notre aptitude au langage. »[33] Le signifiant du père vient prendre lieu et place du réel de la mère chez l’enfant durant le complexe d’Œdipe. La substitution allégorique de l’image aux fantasmes relevant du refoulé donne naissance à un jeu de ressemblance qui questionne la différence. Pour Aristote, « faire de bonnes métaphores, c’est percevoir la ressemblance »[34] et ce concept unit identité et différence. La métaphore permet de voir le même dans le différent et donc de le considérer comme semblable. Le sens figuratif unit identité et différence non pas dans une confusion mais une confrontation, c’est pourquoi il existe une représentation intolérable, contrevenant à la morale -voire indécente-dans toute création artistique et esthétique : les catégories du commun sont balayées, les différences annihilées. L’écriture des surréalistes ou d’écrivains comme Antonin Artaud déploie des images comparables au travail à l’œuvre dans le rêve, «travail d’élaboration des rêves (qui) consiste essentiellement en une transformation d’idées en événements hallucinatoires. »[35]

2. L’opacité du discours de l’Autre :

Dans les créations du langage de l’inconscient à l’œuvre dans la cure transparaît une altérité radicale : celle à l’œuvre dans le lieu du langage, le lieu des signifiants qu’est l’Autre pour Lacan. Le premier Autre est la mère qui tient un discours duquel le petit d’homme doit s’écarter pour constituer son propre rapport au langage mais, de prime abord, ce langage le fait appartenir à une dialectique imaginaire avec la mère, avec laquelle il ne peut pas prendre de distance en tant qu’il se vit comme objet d’amour d’elle alors qu’il n’est qu’une satisfaction « substitutive »[36]. L’apprenant, il craint de lui devenir irréductiblement étranger. Quand le sujet vient à l’analyse, il trouve une subjectivité, au travers de la personne du psychanalyste, qui le fait entrer dans une dialectique avec un autre dont il n’est pas l’objet d’amour, mais avec qui il peut avoir une relation imaginaire dans laquelle va se nouer le symbolique du langage, et qui peut donc laisser émerger un discours radicalement novateur. Par sa parole engagée dans la relation d’analyse, il pourra sortir de l’imaginaire dont il est issu dans sa relation à la mère pour « existe(r) aussi comme réel »[37] et devenir cet «autre que ce qui est désiré»[38].  L’analyste engagé dans « l’interlocution » le soutient : « l’allocution du sujet y comporte un allocutaire (le « grand Autre »), autrement dit (.) le locuteur s’y constitue comme intersubjectivité. »[39] Cependant, « que l’inconscient du sujet soit le discours de l’autre »[40]interdit de penser la relation analyste/analysant comme duelle : la relation intersubjective voit toujours une parole multiple se déployer -supportant plusieurs désirs- où se nouent les conflits psychiques que l’analyste doit décrypter. Le travail est celui de la différenciation : l’analyste est bien cet autre qui doit lutter contre l’identification ou assimilation que désire le patient dans le transfert pour laisser émerger l’autre présent dans l’inconscient du sujet et donc l’imprévisible.

Pour que surgisse une parole créative, et créatrice d’un sujet à venir, Freud a montré l’intérêt de l’activité verbale dans la pratique psychanalytique,  telle qu’elle se révèle dans les défaillances, dans ses aspects de jeu, dans sa libre divagation quand le pouvoir de censure est suspendu.  Il précise cependant que « l’association libre n’est pas vraiment libre » puisque le patient va manifester une « résistance à la reproduction du refoulé » [41] qui va retenir le refoulé dans l’inconscient et ne laisser émerger de lui que « quelque chose qui se rapproche de celui-ci sur le mode d’une allusion »[42]. L’art de l’interprétation de l’analyste ressortit du plus grand dégagement possible puisqu’il ne doit rien orienter selon son désir et laisser « au patient (le) soin de déterminer le cheminement de l’analyse et l’ordonnancement du matériau »[43]. Les éléments propres à informer des symptômes et des complexes n’émergent donc pas isolément et de manière unifiée, mais vont apparaître au gré des séances, en des moments divers. L’écoute du discours du patient serait donc opaque s’il n’était appréhendé que de manière synchronique : il s’agit bien plutôt de considérer les éléments à l’œuvre dans le discours comme des pièces d’un puzzle à assembler, en liant les différentes allusions. Ces dernières surgissant dans le discours de l’analysant échappent à toute prévision, à toute signification univoque, et sont de l’ordre de l’événement en tant qu’intégrées dans un acte de langage qui est poétique.

Le hasard de l’événement est une faille, une fracture vers le réel qui permet de produire une parole réellement vivante. « Le réel étant toujours ce qui se découvre au prix que le semblant qui nous subjugue soit arraché, comme ce semblant fait partie de la présentation même du réel caché, j’ai proposé d’appeler « événement » cet arrachage du masque »[44] L’opacité du discours poétique peut révéler ce hasard qui s’intègre dans une logique narrative et qui acquiert portée et signification. Le poème de Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard [45] approche cet impossible à dire qui advient, surgit, et qui échappe à toute précision. Ce poème est une méditation sur l’événement poétique, le mot qui surgit hors de toute prévision et de tout calcul, et qui parvient à approcher l’impossible à dire. «  Le hasard veut dire que ce qui nous arrive est toujours surnuméraire, en plus, et, sous cette forme-là, il n’est pas ce que nous subissons mais ce qui se conjugue avec notre propre choix. »[46] Il existe un rapport événementiel à l’imprévisible et à l’impensable qui produit des formes inventives de la même manière que, le discours de l’analysant, éprouvant l’incomplétude du langage dans l’expérience analytique, s’ouvre la possibilité même de la parole humaine et peut advenir à une promesse de vie.

3. Le style à l’œuvre : l’esthétique du langage

Le sujet est le fruit d’une construction symbolique et imaginaire tout comme le discours poétique qui est création verbale nourrie de mythes, de fantasmes de l’imagination et structuré par la langue selon des règles précises (définies notamment dans la Poétique d’Aristote). L’inconscient émerge notamment dans un fonctionnement se rapportant aux lois de la métaphore et de la métonymie -comme nous l’avons montré précédemment- et c’est l’événement qui donne au discours son aspect poétique, donc il faut laisser émerger l’événement dans le discours de l’analysant et ne pas réduire le sujet dans un cadre qui serait trop préconçu. Ainsi, le sujet est un « effet de langage »[47] puisqu’il existe par son inscription dans un discours. « Le sujet est un effet de la structure, tout comme une œuvre s’inscrit dans un horizon d’attente, comme elle est la production d’un auteur, d’une culture, d’une société. Mais l’œuvre ne prend pourtant sa valeur poétique et littéraire que dans la mesure où elle existe comme événement- tel le sujet. »[48] Il faut que s’énonce un impossible à dire qui soit d’une absolue nécessité pour le sujet afin que naisse un discours original. Nous pourrions nommer style ce qui se rapporte à la singularité des signifiants énoncés par l’analysant, en référence à la structure formelle ordonnant une œuvre poétique et lui conférant son absolue originalité. Le discours de l’analysant peut faire texte : les limites de la séance et les silences comme autant de blancs, le corps du langage -les sonorités, bruits du corps, interjections – seraient le corps du texte. L’étymologie du mot signifie « tissu, trame » et ce qui se noue dans la séance se voit tissé à nouveau par la suite, reconfiguré dans une nouvelle structure -une autre séance- pour peu à peu laisser émerger le sujet de l’inconscient.

Ainsi, ce qui se lit dans le texte littéraire, et fait structure, n’est jamais donné pour rien : il peut être repris, réenvisagé par le lecteur à l’infini. Tel passage d’une tragédie grecque par exemple pourra être revisité, étudié et admiré comme morceau de bravoure ou expression de la fureur et, dans la parole de l’autre en soi qui existe dans l’expérience analytique, il existe bien une parole identique à celle de la tragédie. En effet, le héros tragique est aux prises avec le destin auquel il oppose la force de son désir : il manifeste l’hubris, le déchaînement des passions. Cette force « l’entraîne au-delà de tout ce qu’il aurait pu dire de singulier. Exécutant de cette force jusqu’à la mort, jusqu’au bout de son désir. »[49] Le sujet en analyse, touchant à cette déraison -car l’histoire personnelle qu’il revisite lui est bien plus intolérable que ne l’est la réalité vécue-  s’exprime en toute liberté  et gagne l’audace de la parole qui advient. La créativité de l’expérience analytique est donc une créativité à l’œuvre. Les ressources insoupçonnées du langage sont découvertes par l’analysant et se manifestent dans la recherche du mot juste (cerner l’objet), les précisions et imprécisions, les ratages qui créent la poésie (du côté de l’analyste aussi). Cependant, la projection de ce langage nouveau se fait dans un espace vide, qui ne s’écrit pas, et qui interdit la jouissance du retour au texte. Cette impossibilité nous amène à la question de la représentation à l’œuvre sur cette autre scène qu’est l’analyse.

Le sujet se construit dans le temps comme dans la narration. Il peut se raconter. Il existe « une structure pré-narrative de l’expérience »[50] c’est-à-dire des histoires non encore racontées. En effet, si la vie humaine est symbolisée par des récits, il existe aussi des « situations » selon Ricœur où l’expérience précède le récit, où la vie vécue appelle la narration, constitue une « narrativité inchoative »[51] . La psychanalyse peut être conçue comme un système permettant la représentation narrative et « l’histoire d’une vie procède d’histoires non racontées et refoulées, en direction d’histoires effectives que le sujet pourrait prendre en charge et tenir pour constitutives de son identité personnelle. »[52] La quête dans l’analyse fait des histoires inchoatives des histoires assumées du point de vue de la responsabilité.  Le temps à venir confère à l’histoire racontée un style tout à fait original : la parole dans le présent reconstitue un passé qui prend effet dans un futur à venir, non réalisé, même si ses effets sont prégnants dans le présent. « L’analyse ne peut avoir pour but que l’avènement d’une parole vraie et la réalisation par le sujet de son histoire dans sa relation à un futur. »[53] La question du temps dans l’expérience est aussi cruciale qu’elle l’est dans la narration et la structure narrative serait l’effort du sujet pour faire advenir l’histoire et la rendre intelligible. Cet appel du récit et de la forme du récit dans l’expérience du sujet rejoint une certaine littérarité et peut s’apparenter à une poétique du désir en tant que la forme de récit qui émerge dans le discours de l’analysant est le lieu langagier d’une confrontation radicale avec le réel.

Chapitre troisième : L’abord du réel : désir du sujet, désir de l’Autre

Nous sommes en droit de nous demander quel est ce « point réel d’impossible à dire »[54] que peut atteindre le sujet par l’usage de la langue. La technique qui met à l’œuvre une poétique peut permettre d’aborder un rivage jusque-là méconnu, celui de son désir qui est, comme nous le verrons, l’autre nom du réel. Se constituant comme sujet dans l’analyse, le désir de ce dernier apparaît d’abord comme désir de l’Autre, appel vers un autre totalisant ou mimétisme du désir qui opère chez l’autre. La relation de transfert est ce qui fait toucher au désir. Le désir est toujours dans une dialectique au travers d’un sujet qui, pour se désaliéner, doit en passer par le bouleversement, le renversement de l’ordre établi (admettre par exemple que le sujet n’est pas maître dans sa propre maison), la dépossession de ses valeurs et idées qu’il croyait lui être propres, ce que Lacan appelle du nom de subversion. En effet, le sujet n’est jamais celui qu’on croit, là où l’on l’attend. Pour aborder ce que Lacan a nommé le réel, le sujet doit toucher le manque fondamental, abordé par des poètes, qui dépossède de toute ressource langagière connue et peut mener à l’angoisse.  Cette dépossession est liée à la castration qui est bien l’expérience fondamentale traversée en psychanalyse. Le réel est cette entité distincte de la réalité que fait entrevoir ce manque à être qu’est l’angoisse, et dont l’abord nécessite un  mouvement de désappropriation pour se l’approprier justement, paradoxe qui opère de la déconstruction et qui laisse apparaître cet impossible qu’est l’envers et l’endroit d’une même chose.

1. Subversion du sujet et dialectique du désir (Lacan)

Si l’origine de la parole est dans le manque à être alors le réel s’inscrit dans le manque et  dans la castration. Le sujet, pour se prémunir contre la menace de castration, se défend par le fantasme.
Dans sa critique de la relation d’objet, Lacan fait valoir que le fantasme ne doit pas être authentifié comme tel, qu’il a toujours un au-delà et que cet au-delà est toujours interrogeable à partir du désir de l’Autre. Il considère que le fantasme, qui a partie liée avec le symptôme, se dévoile à mesure que l’analyse se prolonge à condition de ne pas y fixer le sujet. Lacan nomme objet a l’objet cause du désir. Il est non représentable comme tel puisqu’ il représente une « perte » impliquée par la parole mais qui va lester l’ensemble de la chaîne signifiante. Il est en lieu et place du manque, de l’insatisfaction toujours liée à l’objet. C’est cette demande d’objet qui soutient la demande à l’analyste- le grand Autre- envers lequel le sujet questionne sa vérité. Peu à peu, acceptant de liquider le transfert, il va accepter que les réponses ne soient jamais à la hauteur de ses attentes et concevoir le manque qui est constitutif de la parole. L’objet a « va, de ce fait,  donner au sujet sa « consistance », consistance paradoxale puisqu’elle ne se maintient que de cette perte.[55]

Cette relation dans le transfert nous fait entrevoir que le désir de l’un est le désir de l’autre. La relation de désir est fondamentalement une relation à l’Autre et le langage est dans cette relation de désir à l’Autre. Ce dernier est à entendre dans sa double détermination par la préposition : désir de l’objet Autre et désir en tant qu’Autre[56]. Ainsi, le travail de la parole est ce qui permet de traverser le manque. Dans Lectures du désir, Raymond Jean rappelle que c’est le désir qui agit la poétique et toute création littéraire. L’intention fondamentale de tout discours est le désir et, dans la parole, ce qui compte, c’est l’origine, l’émergence de cette parole qui use de la langue. « Les mots sont aux choses ce que le désir est à l’objet du désir. »[57] De la même manière qu’à l’origine de tout texte littéraire, il est une absence, un vide et que l’écriture a pour fonction de combler ce dernier, le discours de l’analysant vient en lieu et place de ce vide. La notion d’intermittence parlée par Lacan dans le discours insiste sur les figures du changement et de l’alternance. Ainsi, dans le discours, apparaissent alternativement des motifs de vérité servis par des figures, motifs qui sont à comprendre comme des fulgurances du désir car revenant de manière permanente, soulignant par cela même la structure fondamentale à l’œuvre. Il s’agit donc de revenir à l’origine pour appréhender le sujet -et le cas est patent dans la dénégation où la première assertion, celle qui est niée, est celle à entendre- et donc aller à contretemps du monde et du temps. Quand le sujet dit des fantasmes, sa parole remonte à des scènes et représentations et les parler, c’est parler un possible jusqu’à un certain point. Dans la poésie, se joue aussi une expérimentation de la parole qui est recherche de l’objet du désir. Dans la répétition en analyse, apparaissent toujours des formes nouvelles, des recherches du mot juste qui font invention. L’expression de Raymond Jean concernant une poétique du désir à propos du texte littéraire pourrait s’appliquer au discours en analyse : c’est « la projection d’un langage nouveau dans un espace vide. »[58]

Ainsi, si « le désir de l’homme est le désir de l’Autre »[59], cet espace vide est le désir et le désir est désir de désirer. René Char disait dans Fureur et mystère  que « le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir.»[60] De la même manière, quand Lacan évoque allusivement le titre du recueil de Paul Eluard,  le dur désir de durer, il y lit « le désir de désirer »[61]. Le poème témoigne de cette proximité au point d’impossible du monde et montre une recherche désespérée du réel. La capacité du poète de mettre au cœur de sa vie cette recherche permet de mettre à distance la question de l’angoisse.

En effet, le travail de la parole comme recherche de soi est aussi une traversée de l’angoisse. Il existe une expérience existentielle du réel constitutive de la psychanalyse : « dès qu’il s’agit du réel, dès que tombent les défenses organisées par l’imaginaire, par le semblant, l’angoisse est à l’ordre du jour. Seule l’angoisse ne trompe pas, qui est une rencontre avec un réel si intense que pour s’y exposer le sujet doit en payer le prix. »[62] La fonction de l’angoisse dans la psychanalyse est que le réel s’y montre comme ce qui, pour le sujet, est sans mesure et le tourment de celui qui endure l’expérience de ce réel le prive du recours à l’imaginaire, et à la représentation : le réel est bien distinct de la réalité.

2. Le réel : une entité distincte de la réalité

La nouvelle topique de Lacan nommée RSI -Réel/Symbolique/Imaginaire- après celles de Freud (Conscient /Préconscient/Inconscient et Moi/Ca/Surmoi) représente trois dimensions qui constituent la vie psychique de l’homme. Cette topique est fondée sur le langage comme condition de l’inconscient et implique le renoncement à « l’idée freudienne du substrat biologique hérité du darwinisme»[63] : l’inconscient est structuré comme un langage. L’imaginaire correspondrait au stade du miroir : il est ce qui nous est accessible par l’image dans le rêve, le fantasme par exemple. Il est de l’ordre du registre du moi au sens freudien, registre du leurre, de la relation duelle, de l’agressivité.  Le symbolique est attaché à la fonction paternelle, celle qui nomme, le nom du père. Le père se trouve investi d’une puissance langagière qui opère comme une  construction symbolique. Cette dernière se rapporte à la façon dont notre monde est organisé par le langage et ses lois, faisant acte de la discontinuité de la chaîne des signifiants, de la substitution de signifiants par la métaphore et la métonymie, de la perte irréductible impliquée par le langage et de la castration. L’introduction du symbolique permet d’accéder au monde humain et ce registre prévaut sur les deux autres.

Cependant, Lacan a proposé le nouage des trois notions dans le nœud borroméen signifiant par ce symbole leur interdépendance. Ainsi, le réel est-il une notion corrélative aux deux autres et il est ce que l’intervention du symbolique -le fait que l’on parle- rend irréductiblement inaccessible au sujet. Le réel est différent de la réalité puisqu’il est justement ce qui échappe à la réalité. Le réel est l’impossible à dire selon Lacan : « le réel est l’impasse de la formalisation » ou encore «le point d’impossible de la formalisation »[64] ou plutôt un point précis, un biais de la formalisation ou encore « l’impossible propre d’une formalisation »[65]. D’où la division de la formalisation qui va introduire l’idée inacceptable que l’impossible existe : accepter le point d’aboutissement du réel comme impossible, implique la déconstruction d’une forme, d’une structure préétablie, de la langue par exemple dans le langage à l’œuvre en psychanalyse. Le réel est cet impossible à saisir par le langage, l’inaccessible. C’est ce qui échappe toujours au sujet, l’objet toujours raté de la quête, d’une satisfaction qui comblerait l’individu. C’est ce qui échappe à la parole, c’est-à-dire à cette production symbolique qu’est le langage. Le réel, c’est l’hallucination, perceptible par le sujet dans le rêve par exemple. Le réel, c’est la vérité aussi, celle qu’on ne peut toute dire. Dans l’ouverture de Télévision, Lacan déclare : « Je dis toujours la vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas. La dire toute, c’est impossible, matériellement : les mots y manquent. C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel. »[66] Le réel, qui est un autre nom de la vérité, serait la visée du désir inconscient.

La tension entre réalité et imaginaire constitue un moteur des séances et, peu à peu,  l’objet a, objet de la pulsion, tient lieu et place du manque, du ratage.           En effet, pour que le sujet réussisse à se détacher de l’objet de ses fantasmes, il doit s’opérer une substitution métonymique ou métaphorique et le transfert vient répondre de manière symbolique aux possibilités de remaniement du fantasme. Mais « l’objet de la pulsion en tant qu’il excède les remaniements symboliques est dans la catégorie du réel »[67]et aucune substitution ne peut recouvrir le déficit de l’objet qui représente « l’angoisse de castration chez l’homme. »[68]

Si l’analyse a à se confronter, par son approche clinique, au réel, l’analyste est bien celui qui apparaît comme parangon du réel. Le transfert et contre-transfert, ou désir de l’analyste, sont bien réels dans la cure et  la relation au discours de l’analysant implique la créativité de l’analyste. D’abord, Lacan affirme en préambule de Télévision  que l’analyste ne l’est justement que parce qu’il est « objet de l’analysant »[69]. L’analyste est un « saint »[70] et Lacan ajoute en marge qu’il constituerait l’objet a incarné. L’analyste fait « le déchet : il décharite » afin de « permettre au sujet, au sujet de l’inconscient, de le prendre pour cause de son désir. »[71] Ainsi, il permet à l’analysant de reporter son désir sur lui, et de faire l’expérience de le faire déchoir de sa position, saisissant alors ce qui était à l’œuvre précédemment dans ses différents attachements aux objets. Le désir pour l’analyste n’est pas suivi d’effets, bien qu’assumé, et sa réponse n’apparaît jamais satisfaisante. L’analysant trouve un sens dans le hors-sens en quelque sorte, à l’encontre de ce qu’il venait chercher et peut faire l’expérience de la perte puisque l’analyste n’est plus à la place d’Autre réel de sa demande.

3. Le mouvement de désappropriation pour s’approprier le réel

La perte des repères dans l’analyse nous ramène à la question du  principe de réalité et du principe de plaisir. Pour Freud, il existe un principe de réalité qui met l’appareil psychique dans l’obligation de se représenter ce qui est réel et désagréable et qui vient contrecarrer le principe de plaisir. Jacques Derrida a travaillé à proposer une déconstruction de la psychanalyse et a fait une lecture de Au-delà du principe de plaisir (1920), qu’il développe dans Essais de psychanalyse,  qui éclaire le mouvement à saisir pour s’approprier le réel. Ainsi, pour Derrida, les deux principes sont l’endroit et l’envers d’une même chose. Dans Spéculer dur Freud, il met à jour les paradoxes engendrés par la souveraineté du principe de plaisir qui gouverne la psyché inconsciente par rapport au principe de réalité et il évoque le concept de « différance »[72]. Freud pense les deux principes comme concurrents, c’est-à-dire autonomes et contradictoires : le principe de plaisir doit différer son accomplissement puisqu’il doit négocier avec la réalité, il doit faire des compromis avec le principe de réalité mais pour Derrida « si le principe de plaisir est souverain, le déplaisir n’est que le plaisir différant de lui-même, il n’est que le délai et le relais du plaisir. »[73] Par conséquent, le plaisir psychique serait la différance de la présence du plaisir dans le déplaisir et la souffrance. On pourrait dire que pulsions de vie et de mort que Freud oppose ne sont que l’endroit et l’envers d’une même chose. C’est la pulsion de mort qui permet l’économie de la pulsion de vie et « le propre n’est rien d’autre que la tendance et le mouvement d’appropriation de soi qui ne préexiste pas à soi, et il est toujours aussi un mouvement de désappropriation (processus double et ambivalent que Derrida nomme « exappropriation »). »[74] Faire l’expérience de la psychanalyse, ce n’est pas se garder de la mort, mais bien plutôt gagner la possibilité de faire l’épreuve de la différance et du retard dans la satisfaction du désir : s’approprier, c’est tout à la fois se désapproprier et « la maîtrise se déconstruit dans le mouvement même où elle s’assure »[75].

Dans la création qu’opère le langage, la parole poétique est soumise à l’imaginaire donc au principe de plaisir : elle consiste à produire du nouveau, donc, à inventer partant de soi, en fonction de ce qui reste soustrait au pouvoir de dire, puisque la poésie est toujours une recherche d’un point inatteignable. Ainsi, la poésie est un dire qui contourne ce qui ne peut être dit, qui l’enserre toujours davantage. Dans l’analyse, il est question de cette perte également perpétuellement en travail, au fur et à mesure que s’élabore le discours, que l’analysant trouve les mots. Il y a un deuil à faire de la langue maternelle par le langage agissant dans la cure, dans un détachement par rapport à sa langue natale qui serait métaphoriquement l’arrachement de l’exilé à son pays natal.  « La psychanalyse s’accomplit dans l’acte d’un retour, non pas en arrière, à la découverte d’une origine mais dans un retour en avant, une entrée plus avant dans le pays natal, en un mot, un retour du refoulé. »[76] La métaphore de l’exil représente un écart, comme un point de réel possible puisqu’éloigné du connu, de l’attendu et nécessitant, de la part du sujet, des tentatives, sans cesse renouvelées, de circonscrire ce qui apparaît alors. Le symbole de l’exil est repris par Badiou pour signifier le réel : « Or on peut soutenir que le réel est toujours dans la forme d’un exil, puisque, étant l’impossible ou le semblant dont il faut arracher le masque, y accéder suppose qu’on s’éloigne de la vie ordinaire, de la vie commune. »[77] Aller à la rencontre du réel, c’est sans cesse arracher des masques, et quand un masque est arraché, il y en a un autre derrière, « en sorte qu’ôter un masque nécessiterait d’en ôter un autre, sans finalement jamais arriver au réel nu, puisque c’est le masque lui-même qui est nu, c’est le semblant lui-même qui est réel. »[78] Le réel est divisé, il n’est plus intact, et le manque à être qu’implique la prise de chaque sujet dans le langage prouve que la poétique est moins un dire sur le réel qu’un effet du réel dans le langage qui peut être comparable à un « événement » tel que nous l’avions évoqué précédemment.

Chapitre quatrième : De la dimension esthétique à la dimension politique et éthique du réel

L’abord du réel qui donne sa place au manque par la médiation du désir implique une place inédite du sujet dans l’analyse, dans la langue qui fait système dans le discours qu’il emploie. Cette nouvelle situation est une position de confrontation d’avec son désir qui s’apparente à la dimension poétique en tant qu’elle est recherche de signifiants toujours nouveaux pour appréhender le réel et à la dimension esthétique dans ce qu’elle recèle de beauté éprouvée dans le discours. La recherche et la production de formes ainsi que la recherche de sens parcourent le travail psychanalytique. Mais le réel possède aussi une dimension politique  au travers de la lecture opérante dans la cure : l’analyste est lecteur. Prenant parti pour la mémoire, la structuration et l’interprétation, il s’oppose à la confusion à l’œuvre dans bon nombre d’esprits non avisés ou dans le domaine public trop souvent source de conflits et de violence. Il participe d’un mouvement de libération de l’individu -comme l’écrivain, le philosophe ou tout un chacun qui a affaire aux textes- puisqu’il le guide pour déchiffrer ou appréhender la complexité ou l’apparente simplicité de son existence. Une autre dimension est aussi à l’œuvre qui consiste en un questionnement des valeurs véhiculées par le désir et il est toujours question d’éthique dans la poétique puisque le sujet touche au tragique de la condition humaine qui ne peut qu’interroger sur des valeurs subséquentes à la morale et amener à les problématiser.

1. La dimension esthétique et poétique : un signifiant nouveau pour aborder le réel ?

L’enjeu de l’analyse est de se réapproprier sa propre parole, trouver sa langue, ce que Lacan a nommé « lalangue », néologisme poétique mais aussi volonté de l’écrire en un seul mot afin « d’y spécifier son objet »[79], objet de la pratique psychanalytique. Si la structure du langage garantit l’existence du sujet de l’inconscient, cette structure a à voir avec le corps vers l’âme puisque c’est d’abord par le corps que l’âme s’exprime ainsi que le dit le symptôme. Ce dernier dit la manière dont le sujet se perçoit et le travail de l’analyse peut lever les symptômes mais pas tous : il en existe qui résistent parce qu’ils sont de l’ordre d’ « un signifiant (.) qui ne renvoie pas à un signifiant refoulé dans l’inconscient. Il est bien plutôt à comprendre comme effet d’un échec du refoulement originaire : effet d’interruption provisoire de l’action originaire du « fiat trou » »[80] qui serait « la manifestation d’un réel informe qui n’a pas été informé. »[81] A. Didier-Weill reprend ici la traduction qu’avait faite Lacan du troisième verset de la Genèse, où il passait du « fiat lux » au « fiat trou », le signifiant du nom du père « lux » disparaissant au profit du trou du réel par l’action du sujet. En effet, c’est le sujet qui substitue au « lux » le « trou », se trouvant par là-même devant un vide inimaginable auquel il ne peut répondre que par un signifiant nouveau.

Il apparaît que le trou du réel qui agit à un point de butée de l’analyse s’il est inimaginable, n’est pas forcément irreprésentable. Il peut être contré par un signifiant nouveau qui lui serait donné et venir en lieu et place du trou dans le réel de la subjectivité du sujet : « l’énonciation silencieuse de l’analyste peut nommer le silence monstrueux et le transformer en un nouveau silence, un silence qui s’entend »[82] à l’image des Erinyes, monstrueuses  déesses, qui par la grâce d’Athéna, accèdent au statut de « Bienveillantes » par le pouvoir de leur nouveau nom : les Euménides. La démarche artistique, notamment la danse, pourrait être une réponse. « Danser sa vie ou nommer sa vie sont les voies qui s’offrent au possible »[83] et cependant, si l’acte de création est capable de produire, ce que Lacan appellera un sinthome, nous pouvons nous demander- à l’instar de Didier-Weill- si l’acte analytique peut se prévaloir de permettre au sujet de faire face au trou du réel.

Dans le langage quand surgissent les mots d’esprit, le sujet fait l’expérience de la sidération qui est un état de stupeur qui précède « l’après-coup » révélant l’esprit du Witz. Cela constitue une « ouverture fulgurante au réel »[84]. Dans la cure, il existe un passage qui peut être comparable à la rencontre faite avec le mot d’esprit et qui va permettre au sujet de pouvoir répondre au trou du réel par un sinthome. L’analyste n’est pas celui qui voit ce qui se tait dans l’innommable du réel mais qui l’entend, c’est-à-dire qu’il refuse l’expérience de fascination qui le « captur(erait) au niveau du regard par ce qui tend à se montrer (le monstrueux) »[85]. Il préfère entendre « le silence peu commun » se faisant entendre du réel déchu, « un silence qui lui fait ouïr le mouvement de chute qui fait se taire ce qui aurait pu parler. » Il est comparable au poète entendant une voix qui s’est tue et par l’expérience de la sidération qu’il fait « causée par l’ouïr de la voix qui s’est tue, (il) donne à l’analysant accès à ce qui s’est tu en lui. »[86] Dès lors, naît la promesse d’une altérité, d’un « tu » entre le « je » et le « il » qui va permettre une énonciation nouvelle, une adresse qui reconnaît la singularité de l’expérience et qui se glisse entre le « il » de l’analyste et le « je » de l’analysant. Reconnaître ce « tu » à l’œuvre, c’est adopter la position de l’hérétique selon Lacan, spécifiquement « c’est choisir la voie par où prendre la vérité »[87] car c’est laisser advenir ce qui est totalement nouveau. Cet avènement du « tu » est un surgissement du dehors qui rencontre le dedans du sujet et inspire la création artistique.

Accéder au réel, recréer le réel, c’est trouver la possibilité d’une réponse qui soit totalement nouvelle par la production qu’est le mot. Chaque analysant et analyste réinvente la psychanalyse pour lui-même. La parole de l’analysant se fait poésie et fait de l’inconscient le matériau d’un nouveau langage qui devient une poétique de la psychanalyse.

2. La dimension politique

Dans la pratique psychanalytique, l’analyste est un lecteur. L’acte de lire présuppose un déchiffrage, une traduction et laisse un rôle à l’intuition. Le lecteur est capable de saisir ce qui échappe au prévisible, à la règle. Le silence de l’analyste, qui est celui du lecteur face à un discours se déployant, a un pouvoir sur le réel- comme nous l’avons montré précédemment- et non l’interprétation explicative. « Le silence devient monstrueux quand il devient silence qui ne s’entend pas : un silence tellement terrifiant que même le hurlement d’un cri ne permet pas de le faire entendre. Un silence qui s’entend est le silence qui succède à celui de la méduse si l’analyste a pu la regarder en face : l’énonciation silencieuse de l’analyste peut nommer le silence monstrueux et le transformer en un nouveau silence, un silence qui s’entend. »[88] Ce silence garantit le discours qui se déploie et la qualité de cette écoute est une coopération de l’analyste/lecteur avec le « texte » qui se dit. Le lecteur doit se dégager de toute attente car si le texte n’est pas espéré, peut surgir l’inattendu et de nouvelles structures, de nouvelles formes.  De cette écoute/lecture féconde peut surgir une dimension nouvelle du langage et donc du sujet, agi par le langage.

Si l’acte de lecture est un acte de subversion -dans le sens de subversion du sujet qu’il transforme, nous pourrions parler de désaliénation en ce qui concerne le sujet. En effet, ce sujet n’est plus contraint de dire, il n’est plus assujetti à la parole de l’autre qui l’aliénait dans son discours. Dans la langue qu’il emploie dans l’analyse, une violence est faite à la valeur d’usage de la langue, au discours socialisé qui présente un sens figé. Tout comme le poète qui fait « effort au style » et est « le seul encore à vouloir faire violence à la langue, à parler contre la parole. »[89] Par la technique psychanalytique, le sujet se désencombre des nécessités de représentation ou de référence pour parler la chaîne discontinue des signifiants qui fonde l’inconscient et n’est plus dupe des signifiants qui hantent le monde et la société. Il devient plus sensible « au parler vrai » ou entend le discours de l’autre comme utilisant des signifiants parmi d’autres : le discours ne fait plus sens isolément frappant de ses effets de langage la conscience des auditeurs, comme dans le discours partisan des hommes politiques par exemple. Le sujet a appris à lire d’autres signes et peut restituer au silence, au cadre de l’énonciation, au non-dit, au corps qui s’agite, leur sens plein. Le sujet touche à une dimension du sujet libre idéal pour la démocratie, un sujet qui a intégré la duplicité du langage.

Dans notre société démocratique, il est nécessaire de penser la démocratie pour en bien situer les limites et les risques qu’elle encourt. Badiou dénonce, dans A la recherche du réel perdu, « un monde soumis à l’impératif du réel comme intimidation. »[90]  Selon lui, notre société est structurée de manière à nous faire redouter le dévoilement du réel, ne pas le souhaiter car il menace notre croyance en un réel bien plus réel que le réel : le semblant du réel, car « le réel, (.), c’est ce qui vient hanter le semblant. »[91] Ce qui l’illustre le plus crûment est la publicité faite au scandale dans notre société hyper-médiatisée. Or, « l’unique force du scandale réside ainsi dans la théâtralisation d’un minuscule fragment du réel en tant que dénégation de ce réel lui-même. »[92]  Accepter d’entendre ces fragments de scandale, c’est se soumettre à un ordre qui rejette le réel hors de notre conception pour lui préférer un semblant de réel. Pour ne pas renoncer à « la passion désespérée d’être au monde » que prône le poète Pasolini, il faut renoncer au divertissement, au sens pascalien du terme : « Le réel surgit quand le divertissement est à bout de souffle, et ne parvient plus à nous mettre à l’abri d’un tel surgissement. »[93] Ne pas consentir aux fables de l’inconscient peut amener à ne pas consentir aux fables qu’on joue à la place du réel. Avoir pu se confronter à la perte en analyse pourrait permettre « une passion du réel » puisque, libéré du danger de l’angoisse inhérente à la perte dans la fin de l’analyse, le sujet est en mesure d’affronter, à l’égal d’Œdipe, « la suite de son désir », « le désir de savoir » qui le fait mourir d’ « une belle mort », « de la vraie mort, où lui-même raye son être. »[94]

3. La dimension éthique : les valeurs questionnées par le désir

Dans le néologisme qu’emploie Melman, le mot « poéthique »[95] traduit bien ce qu’engage la poésie, à la fois des questions esthétiques et éthiques tout comme le sujet engagé en analyse qui est confronté à ce que questionne le langage  à savoir l’esthétique, et la portée de ce langage dans l’analyse à savoir l’éthique. Le nécessaire fondement tragique de la psychanalyse qu’évoque Lacan dans son séminaire sur l’éthique[96] rejoint la question du tragique dans le réel. La question est de savoir si « l’analyse apporte quelque chose qui se pose comme mesure de notre action- ou simplement le prétend. »[97]

D’abord, la psychanalyse permet « un retour au sens de l’action » qui est action cathartique mais l’essentiel réside dans « le rapport de l’action au désir qui l’habite » pour comprendre à quoi elle mène. Pour que soit opérant ce jugement, il faut éprouver « la dimension qui s’exprime dans ce qu’on appelle l’expérience tragique de la vie » et qui est le « triomphe de l’être- pour- la- mort »[98], Œdipe consentant à la mort, à la négation du signifiant sujet. Néanmoins, l’aspect comique de la vie -qui réside dans la comédie- dévoilant « le triomphe de la vie(.) son échappée, le fait que la vie glisse, se dérobe, fuit, échappe à tout ce qui lui est opposé de barrières » en échappant au primat du « phallus » fait sens également puisque les deux aspects questionnent le désir et rendent possible un jugement éthique. Celui-ci est contenu dans la question suivante : « Avez-vous agi conformément au désir qui vous habite ? »[99] Le désir est à entendre dans sa mesure d’impossible dépassant les limites de la morale traditionnelle qui se préoccupe de « ce qui se peut ou ne se peut pas » selon une éthique du bien qui réduirait la portée de l’analyse. Son sens est bien celui d’accomplir une destinée particulière, de révéler dans « l’homme du commun » « la voie tracée pour un héros. »[100] L’expression « céder sur son désir » prend alors tout son sens, il y est question de la trahison : « Ou le sujet trahit sa voie, se trahit lui-même » ou bien il « la tolère » d’un autre « au point de rabattre ses propres prétentions et de se dire (.) rentrons dans la voie ordinaire. »[101] Le héros tragique ne retourne pas à la valeur de bien commun signifiée dans la tragédie par la pitié et la crainte. Il ne ressent ni pitié, ni crainte ou plutôt les affronte. Le sujet spectateur connaît alors ce qu’il en coûte de s’aventurer jusqu’aux limites de son désir et d’y renoncer aussi. Le sujet par l’analyse connaît aussi ce qui peut lui en coûter de céder sur son désir ou de le suivre.

Toutes ces considérations qui closent le séminaire sur l’éthique interrogent bien cette dimension du réel entrevu dans l’analyse. Le sujet destitué d’une position première qui lui faisait méconnaître les processus inconscients qui le gouvernent peut se réapproprier en liberté sa propre vie à vivre et son vécu. Il est passé par une vérité, un réel éprouvé dans la souffrance traversée. La psychanalyse est agissante, tout comme la poésie et toutes deux sont traversées d’une éthique du dire et d’un projet pour le sujet.

CONCLUSION

La technique psychanalytique garantit un cadre nécessaire à la pleine expression d’une parole où l’analysant s’investit tout entier espérant retrouver, dans un premier temps, la possession de son corps, débarrassé de ses symptômes, et de sa parole, débarrassée du langage de l’autre premier qu’est la mère. La recherche symbolique qui s’élabore a affaire à l’imaginaire d’abord et la structure du cadre rend possible l’invention qui permet d’accéder à un réel : le discours analytique. Le sujet s’expérimente alors dans un discours adressé à un autre, l’analyste, en devenant le sujet de sa propre histoire et, au travers des résistances qui s’installent, prend la mesure que ce qui se dit est aussi important que ce qui se tait. Les figures de l’inconscient qui surgissent dans le rêve par exemple, sont à entendre comme des signifiants nouveaux, surgissant de l’inconscient et relevant d’une création poétique.

Ces figures sont les signes de l’équivoque dans le langage qui énonce une vérité du sujet. Elles sont douées du pouvoir d’évocation, de représentation et, par leur fonction de substitution, viennent parler de ce qui n’était pas accessible jusqu’alors parce que refoulé : l’autre. Dans sa fonction de grand Autre, l’analyste le soutient, participant d’une relation intersubjective. Il s’agit de laisser la place au tiers, ce qui surgit, et le hasard de l’événement, principe d’engendrement en poésie, apparaît comme agissant aussi en analyse. Le hasard est lié à l’impossible en tant qu’il ouvre à une parole -des signifiants- laissant entrevoir le réel.

Le point d’impossible du langage, qu’est ce réel, est constitutif du désir du sujet qui dès lors s’adresse à un grand Autre symbolisé en objet a. La psychanalyse nous apprend que le désir est porté et suscité par le désir de l’Autre et ce désir est infini, désir désirant désirer. Cependant, il existe un point du réel qui mène le sujet à l’angoisse. Si le réel se noue du symbolique et de l’imaginaire, s’il apparaît à la faveur de ces deux paramètres du psychisme, il n’est jamais entièrement saisi. Ce qui peut figurer cette fuite est l’analyste qui accepte de déchoir c’est-à-dire quitter sa place de sujet supposé savoir pour mener le sujet à un mouvement de désappropriation qui le fera paradoxalement accéder à un semblant de réel qui toujours se dérobe devant un autre semblant apparemment plus réel que lui.

Ainsi, l’abord du réel a permis la prise de signifiants nouveaux dans le langage et, si le réel possède une dimension esthétique et poétique, il est aussi ce qui questionne la dimension politique et éthique du désir. Trouver son propre langage implique de combler le trou du réel et le sinthome est une création nouvelle qui peut venir le combler. Cependant, il n’y parvient jamais tout à fait ; seule la démarche artistique est appropriée pour aborder ce point tragique aux confins du réel. Cette audace de l’expérience dans le langage est signifiée aussi par la place de l’analyste-lecteur, éminemment subversive, et le sujet aussi est devenu lecteur, lecteur de signifiants émis par la société dont il peut rendre compte sans être dupe de la duplicité du langage. Le réel pourrait être quelque chose à gagner dans l’espace commun en quittant un état de soumission qui fait adhérer le sujet à des simulacres de réel ou des fragments, bien loin d’une totalité du réel. Du point de vue éthique enfin, le fondement tragique de la psychanalyse interdit de penser le sujet comme un homme du commun. Il a acquis la possibilité de ne pas céder sur son désir et a pu éprouver l’expérience de la perte qui le fait devenir un être-pour-la-mort, absolue liberté gagnée en analyse.

La créativité dans la pratique analytique se rapproche de la poétique à l’œuvre dans la poésie et dans la littérature en général et la psychanalyse, par les questions qu’elle suscite,  est plus du côté de l’œuvre d’art que de la science car elle donne aux tâtonnements, à l’imprécision, à l’imprévisible valeur de témoignage et de vérité et elle permet, par la technique mise en œuvre, d’accéder au réel et de le créer.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages :

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Conférences et articles :

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  • Pierre JAMET, « Réel et réalité psychique » in Jean-Richard FREYMANN, Clinique de la déshumanisation, ERES « Hypothèses », 2011, pages 239-242
  • Anne LE BIHAN, « Se vouer à la dérive du langage », Psychanalyse et poétique, Revue Link n° 10 de l’EPFCL (Ecole de Psychanalyse des Forums du Champ Lacanien),  date ?
  • Conférence de Charles MELMAN, « La poétique du sujet lacanien », présentée par Camille Dumoulié, www.litterature-poetique.com/pdf/Melman_dumouli.pdf

[1] Jacques Nassif, Comment devient-on analyste ?

[2] Jacques Lacan, L’éthique de la psychanalyse, Livre VII, Seuil, 1986, page 28

[3] Ibid., page 22

[4] Ibid.

[5] Ibid., pages 28-29

[6] Sigmund FREUD, La technique psychanalytique, « Remarques sur l’amour de transfert », 1915, trad. Française 1953, PUF, 2007

[7] J. LACAN, Des Noms-du-père, éditions du Seuil, Paris, 2005, page 38

[8]  Sigmund FREUD, La technique psychanalytique, « De la psychothérapie » (1904), pages 18-19

[9] A. DIDIER-WEILL, Un mystère plus lointain que l’inconscient, Paris, Flammarion, 2010, page 167

[10] E. BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale 1, Paris, Gallimard, 1966, page 77

[11] E. BENVENISTE, ibid.

[12] Ibid., page 78

[13] Ibid.

[14] J. LACAN, Ecrits II, Paris, Editions du Seuil, 1971, page 158

[15] P. RICOEUR, « Freud et la question du sujet », Anthologie, éditions Points, Paris, mars 2007, page 226

[16] Ibid.

[17] J. LACAN, Ecrits II, Paris, Editions du Seuil, 1971, page 160

[18] J. LACAN, Ecrits I, Paris, Editions du Seuil, 1966, page 127-128

[19] Ibid., page 128

[20] Définition de Christophe Dejours dans la préface de La technique psychanalytique, Presses universitaires de France, Paris, 2007

[21] C. MELMAN, L’Homme sans gravité, Paris, Denoël, 2002, lexique page 248

[22] ARISTOTE, Poétique, Paris, Editions Mille et une nuits, 1997, page 26

[23] Ibid.

[24] S. FREUD, Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1979, page 25

[25] Ibid., page 27

[26] Ibid.

[27] Ibid., page 62

[28] Ibid., page 156

[29] Ibid., page 157

[30] Ibid., page 159

[31] E. BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale, 1, Paris, Gallimard, 1966, page 87

[32] Ibid.

[33] C. MELMAN, op.cit., lexique, page 254

[34] Cité par P. RICOEUR, op. cit., « le sens de la métaphore », page 117

[35] S. FREUD, Introduction à la psychanalyse,  Paris, Payot, 1979, page 198

[36] J. LACAN, La relation d’objet, Le Séminaire, livre IV, Paris, Editions du Seuil, 1994, page 241

[37] J. LACAN, Ibid., page 243

[38] Ibid.

[39] J. LACAN, Ecrits 1, Paris, Editions du Seuil, 1966, page 135

[40] Ibid., page 143

[41] S. FREUD, Sigmund Freud présenté par lui-même, Paris, Gallimard, 1987, page 68

[42] S. FREUD, ibid., page 69

[43] Ibid., page 70

[44] A. BADIOU,  A la recherche du réel perdu, Paris, Fayard, 2015, page 27

[45] Cité par Jean-Daniel CAUSSE dans son cours « Concepts fondamentaux de la psychanalyse I », Université de Montpellier, pages 35-36

[46] Ibid.

[47] Conférence de C. MELMAN, « La poétique du sujet lacanien », page 3

[48] Ibid., pages 5-6

[49] Ibid., page 17

[50] P. RICOEUR, op. cit., « Le sens du récit », page 185.

[51] Ibid.

[52] Ibid., page 186

[53] J. LACAN, Ecrits I, Paris, éditions du Seuil, 1966, page 184

[54] A. BADIOU, op. cit., page 39

[55] C. MELMAN, L’Homme sans gravité, lexique, page 255

[56] J. LACAN, Ecrits I, page 146

[57] T. TODOROV, Poétique de la prose, éditions du Seuil, page 116, cité page 8 du livre de R. JEAN

[58] R. JEAN, Lectures du désir, Paris, éditions du Seuil, 1977, page 23

[59] J. LACAN, Ethique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, page 357

[60] Page 73 de l’édition Gallimard, 1967

[61] Ibid.

[62] A. BADIOU, A la recherche du réel perdu, Paris, Fayard, 2015, page 14

[63] E. ROUDINESCO, Pourquoi la psychanalyse ?, Paris, Flammarion, 1999, page 164

[64] A. BADIOU, op. cit., page 28

[65] Ibid., page 31

[66] J. LACAN, Télévision, Seuil, 1973, page 9

[67] S. COTTET, Freud et le désir du psychanalyste,  Paris, Navarin éditeur, 1982, page 174

[68] Ibid.

[69] Jacques LACAN, Télévision, Paris, Editions du Seuil, page 10, 1973

[70] Ibid., page 28

[71] Ibid.

[72] Cité par M. GOLDSCHMIT, Jacques Derrida, une introduction, Paris, Pocket, 2003, page 91

[73]Ibid.

[74] Ibid., page 92

[75] Ibid., page 93

[76] J.-D. NASIO, L’Inconscient à venir, Paris, éditions Rivages, 1993, page 27

[77] A. BADIOU, A la recherche du réel perdu, Paris, Fayard, 2015, page 41

[78] Ibid., page 24

[79] J. LACAN, Télévision, Paris, Editions du Seuil, 1973, page 16

[80] A. DIDIER-WEILL, Un mystère plus lointain que l’inconscient, Paris, Flammarion, 2010, pages 146-147

[81] Ibid.

[82] Ibid., page 150

[83] Ibid., page 162

[84] Ibid., page 169

[85] Ibid., page 170

[86] Ibid., page 171

[87] Cité par A. Didier-Weill, page 177

[88] A. DIDIER-WEILL, Un mystère plus lointain que l’inconscient, Paris, Flammarion, 2010, page 150

[89] A. LE BIHAN, Psychanalyse et poétique, « Se vouer à la dérive du langage », revue de l’EPFCL, n° 10, page 2

[90] Op.cit., page 15

[91] Ibid.

[92] Ibid., page 17

[93] Ibid., page